L’intention partagée par les partners est de transmettre l’entreprise en meilleur état aux générations suivantes, ou pour le dire autrement de refuser d’être la dernière génération de partners.

 

Le modèle du partnership – peu connu en dehors des cabinets d’avocats, de conseil ou d’audit – mérite d’être réexaminé, à un moment où les e modèle du partnership – peu connu en dehors des cabinets d’avocats, de conseil ou d’audit – mérite d’être réexaminé, à un moment où les entreprises cherchent à conjuguer performance économique, engagement des talents et agilité décisionnelle. Au-delà de sa structure juridique spécifique, il incarne une philosophie de gouvernance qui peut inspirer les organisations modernes en quête d’alternatives aux modèles hiérarchiques traditionnels. Remis en cause par l’entrée agressive des fonds dans le capital de certaines firmes de services professionnels, il est plus que jamais d’actualité à condition d’être compris et interprété de manière moderne.

 

Un modèle axé sur la co-responsabilité

Le partnership, dans sa version intègre, désigne une forme de gouvernance où les associés partagent la propriété, la prise de décision et la responsabilité de l’organisation. Il existe des formes altérées de partnerships, où le statut de partner est un titre utile à la relation commerciale ou à l’évolution professionnelle, sans toutefois conférer de droit d’influencer le cours stratégique et opérationnel de l’organisation, ni même de contrôler son capital.

Dans les véritables partnerships, contrairement au modèle classique actionnarial-managérial, la séparation entre capital et management est abolie, et la relation entre associés ne relève pas du droit du travail mais du droit des affaires. Mais à la différence, propre à la théorie de l’agence, de la séparation entre la détention du capital et l’exercice effectif du management, le partnership propose une formule de leadership partagé par les actionnaires, ce qui évite l’antagonisme entre les intérêts de long terme et de court terme de l’organisation.

Dans le champ académique, peu d’auteurs se sont spécialisés sur les partnerships. David H. Maister, Laura Empson, Andrew von Nordenflycht sont les plus communément cités. Sans doute l’auteur sur le sujet le plus disruptif, fort peu académique par choix, est Tom Peters, ancien partner en rupture de ban de McKinsey et depuis longtemps auteur à succès. L’une de ses productions les plus originales porte le titre : « The PSF is everything », dans lequel il propose une vision décoiffante de pourquoi les organisations traditionnelles gagneraient à s’organiser en partnership.

 

Les archétypes d’un partnership véritable

Tout d’abord une logique de gouvernance entre, pour et par les pairs : les décisions stratégiques sont prises de manière collégiale par les associés, et les organes exécutifs sont élus par l’assemblée générale des partners, avec une périodicité assez courte.

Ensuite, un alignement fort entre effort, mérite, performance, et rétribution, avec une structure de rémunération à la fois équitable et compétitive, mais surtout transparente.

Enfin, une culture de l’engagement à long terme, constituant une raison d’être favorisant la transmission des savoirs, le sens commun et la légitimité d’équipes dirigeantes à la fois sélectives et inclusives.

Ces trois caractéristiques peuvent être interprétées de manière variée ; les modes de rémunération peuvent ainsi favoriser plus ou moins la performance ou l’équité, les systèmes électifs être plus ou moins parlementaires, compétitifs ou consensuels, les process d’accession au statut de partner contraignant ou, au contraire, encourageants.

La transmission de cette culture est importante ; elle exige, plus qu’un « storytelling » passif, un « story making » permanent et proactif, en particulier quand la croissance rapide de ces partnerships combine une forte promotion interne avec l’intégration de partners seniors venus d’autres cultures. Dans cette perspective, la création de communautés de leaders et de role models porteurs de cette culture est essentiel dans la réussite de ce modèle d’organisation.

 

Ce que les entreprises peuvent apprendre du partnership

Face à la volatilité des marchés et à l’aspiration croissante des collaborateurs à participer aux décisions, les entreprises classiques commencent à explorer des formes hybrides de gouvernance plus horizontales. Néanmoins, les formes dérivées de démocratie interne ou d’association large au capital s’arrêtent souvent en chemin, et continuent d’obéir à des schémas capitalistiques classiques, quand bien même elles peuvent offrir des options de redistribution des bénéfices intéressantes.

Arrivées à maturité, confrontées à des successions difficiles, à des croissances leur faisant perdre de la cohérence, ayant des difficultés à attirer ou retenir leurs talents, les entreprises peuvent trouver dans le modèle du partnership plusieurs sources d’inspiration :

1- Un engagement accru des associés

En étant parties prenantes à la fois des risques et des bénéfices, les partenaires développent un fort sentiment de responsabilité. Prenons un exemple : une business school dont l’actionnaire souhaite se désengager. Par nature, ses parties prenantes sont nombreuses mais inégalement engagées dans la durée. Créer un pacte d’associés entre les profs permanents et des alumnis actifs, par exemple, peut changer la nature même et le projet de long terme de cette école. C’est aussi un format qui peut lui permettre de fusionner ou de s’étendre internationalement.

 

2- Des décisions plus robustes

La collégialité réduit le risque d’erreurs unilatérales, de nombreux biais cognitifs, et permet une prise en compte plus large des enjeux de long terme. C’est un élément important, par exemple dans des secteurs soumis à la double injonction de servir des intérêts publics mais fonctionnant avec une obligation de rentabilité économique, comme la crise sanitaire l’a démontré récemment.

Un alignement stratégique : le modèle évite les conflits d’intérêts entre actionnaires, dirigeants et salariés, typiques des grandes entreprises cotées mais aussi de petites structures à forte croissance. Les LMBO, par exemple, s’approchent initialement de l’esprit de partnership mais retournent souvent à des formes auxquelles ils avaient cherché à échapper. Ce qu’il peut manquer à ces structures, et qui est essentiel à un partnership, c’est le stewardship, l’intention partagée par les partners de transmettre l’entreprise en meilleur état aux générations suivantes, ou pour le dire autrement de refuser d’être la dernière génération de partners.

 

Un modèle qui n’est exempt ni de limites ni de défis

Récemment, un nombre croissant de fonds privés s’est intéressé aux structures en partnership, non pour les propager mais pour les acquérir et les transformer. Leur analyse est qu’il est possible de les rentabiliser à court terme bien mieux que leurs partners ne sont capables de le faire, sans le souci romantique de leur pérennité. En creux, leur intérêt, sinon leur avidité, exhausse certaines limites – supposées ou réelles – des partnerships.

La lenteur décisionnelle est un stéréotype récurrent : la recherche du consensus peut freiner les décisions urgentes, voire faire perdre le sens commun.

L’effet de club peut d’ailleurs renforcer ce défaut : un partnership mal géré peut devenir exclusif et défensif, limiter l’innovation et la capacité de transformation dans des moments critiques comme ceux de l’émergence de nouvelles technologies, de contraintes nouvelles de marché ou de nouveaux entrants dans des domaines se croyant protégés.

Cet effet de club va de pair avec des phénomènes de favoritisme et d’inégalités d’accès : sans mécanisme clair de promotion, le modèle peut créer de la frustration chez les non-associés, des mécanismes de caste, et les temps d’accès au partnership peuvent être dissuasifs aux talents différents.

C’est pourquoi la réussite d’un partnership tient moins à sa forme juridique qu’à sa capacité à instituer une culture de leadership partagé, de responsabilité collective et de vision intègre de sa destinée.

 

Quatre conseils pour s’inspirer du partnership

Pour les dirigeants qui souhaitent s’inspirer de ce modèle, sans nécessairement adopter sa structure formelle, quatre pistes méritent d’être explorées :

1- Préparer et activer des communautés de dirigeants (dans les partnerships, la communauté des associés) et une culture d’auto-évaluation couplée à une revue par les pairs.

La plupart des systèmes de management invitent à une verticalité effective, avouée ou non. Dans un partnership, la responsabilité exécutive est conférée à durée déterminée par l’assemblée des partners à certains de leurs pairs, avec un double système de contrôle mutuel. Ce ne sont donc pas des supérieurs hiérarchiques qui évaluent, mais des pairs, après que par principe le partner se soit évalué lui-même et ait la possibilité de discuter de cette auto-évaluation avec un pair qui s’auto-évaluera et sera lui-même évalué.

 

2- Revoir les mécanismes d’intéressement

Alignez la rémunération variable sur des objectifs collectifs et de long terme. Chez Forvis Mazars Group, nous allons jusqu’à mutualiser mondialement cette rémunération entre les 1200 partners internationaux, dont la rémunération est transparente dans une monnaie commune, le « point de base », avec une révision périodique combinant à la fois la reconnaissance de la performance individuelle, mais à part égale la contribution collective dans un souci de sérénité partenariale.

 

3- Favoriser la transparence des trajectoires

Expliciter les critères d’évolution vers les postes de gouvernance, pour éviter l’opacité et le favoritisme, en limitant les phénomènes de reproduction à l’identique des caractéristiques des générations précédentes.

 

4- Ancrer une culture de la coresponsabilité

Faites du leadership partagé un axe de formation, de recrutement et d’évaluation managériale. Nos systèmes de succession sont fondés sur la création de communautés de leaders, non l’émergence individuelle de sauveurs ou de visionnaires. Et la formation continue des leaders permet d’aborder et de discuter en sérénité des sujets critiques de long terme, en s’assurant que ce n’est pas sous la pression centrifuge des crises que les leaders apprendront à se connaître, mais que c’est parce qu’ils se connaissent qu’ils développeront une meilleure aptitude à gérer ensemble les crises comme la croissance.

Le partnership n’est en rien un modèle miracle, mais il constitue un contrepoint original, sophistiqué et pragmatique aux organisations classiques. Pour certains, c’est une forme transitoire qui doit disparaître progressivement au profit d’un mode d’organisation plus structuré, « corporate ». Mais quand vous parvenez à faire franchir à un partnership ses inévitables crises de croissance et à le moderniser tout en préservant ses valeurs fondatrices, vous répondez en grande partie, plus sans doute que d’autres formes de gouvernance, à l’injonction de Gary Hamel : « Créez une cause, pas un business ».entreprises cherchent à conjuguer performance économique, engagement des talents et agilité décisionnelle. Au-delà de sa structure juridique spécifique, il incarne une philosophie de gouvernance qui peut inspirer les organisations modernes en quête d’alternatives aux modèles hiérarchiques traditionnels. Remis en cause par l’entrée agressive des fonds dans le capital de certaines firmes de services professionnels, il est plus que jamais d’actualité à condition d’être compris et interprété de manière moderne.

 

 

 

Publié le 13 mai 2025  par Pascal Joffret CEO de Forvis Mazars Group pour la revue HBR