En France, le management apparaît plus vertical et hiérarchique que chez nos voisins internationaux, tandis que la reconnaissance au travail y est plus faible et la formation des managers plus académique, d’après le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié fin mars 2025. Tour d’horizon avec Olivier Meier, auteur de « Management interculturel » (Dunod).

1. La vision américaine

Le management américain se traduit par un niveau de confiance et d’autonomie élevé octroyé aux salariés. Cette flexibilité permet de répondre aux attentes de managers tournés vers des résultats immédiats. La réussite de la tâche prime sur le pouvoir hiérarchique, tandis que l’initiative et l’efficacité comptent davantage que l’ancienneté ou le statut. Dans ce contexte, la figure du leader visionnaire et charismatique est particulièrement valorisée. Les organisations encouragent les prises de risques, récompensent les idées pionnières, et acceptent les échecs. Les salariés qui prennent les devants, se dépassent et performent sont fortement intégrés dans les processus de décision et de développement. La gestion des carrières passe par la performance individuelle. Cette valorisation de la compétitivité entre salariés est supposée susciter une forte émulation en interne améliorant la création de richesse.

2. La flexibilité britannique

De l’autre côté de la Manche, la Grande-Bretagne montre également une préférence pour le management horizontal. Son marché du travail est particulièrement flexible, avec une faible importance accordée au statut social, aux diplômes ou à l’âge. Le plus important réside dans les réalisations professionnelles et les actions personnelles. Dans le monde du travail britannique, en revanche, le relationnel joue un rôle important, notamment lors de moments informels au pub après le travail.

3. Le pragmatisme chinois

Le management chinois, lui, tire ses principes du confucianisme, et influence le reste du continent asiatique. Il se structure autour de liens familiaux (ou presque) solides, où prédominent le respect de la hiérarchie et des aînés. Les conflits, quant à eux, doivent être évités afin de conserver une cohésion de groupe. « Les réunions officielles sont empreintes d’un grand formalisme : elles ne servent pas à prendre des décisions, car personne n’ose donner son avis. Ces réunions servent à informer de décisions déjà prises lors de discussions informelles en petit comité« , indiquent Adèle Phung et Paul Tressens, co-présidents de L’Odyssée Managériale. Le manager chinois veille au bien-être de ses équipes. En retour, elles adoptent une posture de loyauté, de solidarité, de modestie. Ce mode de fonctionnement entre manager-managé permet aux entreprises d’être très performantes : les chaînes de décisions sont verticales et méthodiques. Elles nécessitent une réflexion approfondie. Mais, une fois prises, les salariés chinois sont flexibles et pragmatiques. « Dire l’inverse de ce qui a été dit la semaine précédente pour s’adapter aux changements n’est pas une erreur managériale, précise Olivier Meier. C’est une manière de privilégier l’harmonie organisationnelle orientée vers l’action collective, plutôt qu’une cohérence procédurière paralysante. »  
La négociation en contexte multiculturel.
Tiré du livre « Management interculturel » (Dunod) d’Olivier Meier

4. L’empathie japonaise

S’il a été détrôné par celui de son voisin chinois, le management japonais a longtemps été une référence pour le reste de l’Asie, notamment dans les années 1980-90. Il repose principalement sur la méthodologie « Kaizen ». Elle consiste à progresser pas à pas, et à son rythme, dans le but de s’améliorer de manière continue et dans la durée. Au Japon, instaurer une relation de confiance est également un paramètre indispensable avant que le travail ne commence. Des connaissances préalables doivent permettre de s’assurer de la loyauté et des qualités de l’interlocuteur. Quant à la communication japonaise, elle est souvent indirecte et implicite, laissant place à l’interprétation et à la compréhension des non-dits. À défaut d’échanges verbaux et clairs, les salariés japonais intègrent d’autres formes d’expression qu’il est primordial de savoir décoder. Cela passe par des gestes, des regards, des espaces interindividuels plus ou moins importants. Cette forme de dialogue est possible grâce à l’empathie développée par les Japonais dès l’enfance. L’autre pays aux modes de communication indirects, plus éloigné de l’Asie, est l’Arabie Saoudite. Regarder son partenaire droit dans les yeux traduit l’instauration d’un contrat direct et continu. Cela peut parfois être considéré comme un signe d’agressivité. Là où, en Europe, le fait de ne pas regarder son interlocuteur dans les yeux peut être interprété comme un signe de malhonnêteté.

5. La débrouillardise indienne

Dans le Sud de l’Asie, le management indien est largement influencé par son système de castes, bien qu’il ait été légalement aboli en 1950. Cette hiérarchie très marquée entraîne une grande distanciation sociale : « En raison de la forte hiérarchie et des relations asymétriques, le cloisonnement du travail peut freiner la délégation des tâches ou ralentir les prises de décisions. Cependant, le leadership indien se singularise par un accompagnement des salariés qui intègre les contraintes structurelles du système et prend en compte les obligations sociales de chacun« , commente Olivier Meier. Le rôle du manager indien est de mettre au défi ses équipes, tout en les inspirant et en veillant à bien les considérer. Les salariés ne sont ni pressés, ni stressés. Ils effectuent leurs tâches au jour le jour, sans tenir compte des délais. Le temps est considéré comme une ressource, et non comme une contrainte. « La notion de « Jugaad«  est très importante en Inde. Cela signifie faire beaucoup avec peu de moyens : une approche pragmatique et résiliente qui permet de trouver des solutions ingénieuses là où beaucoup de cultures seraient déstabilisées. Les Indiens tirent leur force de cette débrouillardise adaptable et inventive« , développe le professeur à Sciences Po Paris.

6. La décontraction australienne

En Australie, la culture managériale du « laid-back » domine. Autrement dit ? Les entreprises optent pour une atmosphère détendue et hospitalière en toutes circonstances. En général, le matin, le manager australien et ses équipes débutent leur journée dans un café au pied de leurs bureaux. « Ces échanges informels et conviviaux permettent de faire émerger les idées. Ces coffee shops sont les centres névralgiques de la sphère professionnelle. Certains matins, c’est même difficile de trouver de la place« , plaisantent Adèle Phung et Paul Tressens, actuellement à Melbourne. Du côté de la Nouvelle-Zélande, l’approche du travail est holistique. Elle s’inspire de la culture maorie, qui prend en compte les 5 dimensions de l’existence : les racines de la personne (d’où vient-elle ? Quelle est sa région, sa ville, sa montagne, son fleuve ?) ; la santé mentale et émotionnelle ; la santé physique ; la famille (proche ou éloignée) ; et le spirituel. « Lorsque les Néozélandais organisent des team-building, tous les 6 mois en moyenne, cela se déroule souvent dans un marae : une « maison d’accueil«  en maorie. Ce lieu sacré sert aux activités sociales, religieuses et politiques. Il est interdit de parler du travail ! L’idée, c’est de prendre soin de soi, mais surtout de s’assurer que ses collègues aillent bien« , ont-ils observé, lorsqu’ils se trouvaient sur l’archipel il y a quelques mois.
Les différents comportements au travail en fonction des pays.
Tiré du livre « Management interculturel » (Dunod) d’Olivier Meier

7. L’équité nordique

Le management des pays nordiques (Danemark, Norvège, Suède, Finlande et Islande) inspire pour de nombreuses raisons : ses méthodes participatives sont, notamment, plébiscitées. Le collectif de travail accorde une grande importance à la cohésion sociale. Le système tente d’être le plus juste, paritaire et solidaire possible. Il est aussi très méritocratique. La qualité de l’environnement de travail est également majeure. Si les équipes restent tard au travail, la manager risque de penser qu’ils se sont mal organisés dans la journée. Les résultats sont plus importants que les heures passées au bureau. Ce mode de travail est possible grâce aux relations de confiance impulsées par le manager. Cette dynamique se ressent dans la communication. Les conversations avec le dirigeant sont transparentes, d’égal à égal. À condition qu’elles n’entraînent pas de conflits. Ceux-ci doivent être réglés dans l’écoute et l’empathie.

8. La rigueur allemande

Le management allemand est unique. Il repose, notamment, sur une obligation légale (loi de cogestion), appelée Mitbestimmung : dirigeants et actionnaires, ainsi que salariés et syndicalistes, recherchent systématiquement des consensus dans l’intérêt général. Conséquences ? Les rémunérations sont plus hautes, les écarts de salaires et les privilèges plus faibles, et les carrières « maison » mènent à une grande expertise. Par ailleurs, s’il est naturel d’exprimer ses états d’âme dans les pays latins, il n’en est rien en Allemagne ! Les managers et leurs équipes privilégient des attitudes neutres, rationnelles, et dépassionnées. La profusion d’émotions est considérée, à l’inverse, comme un manque de maîtrise de soi. En ce sens, le clivage entre la vie personnelle et professionnelle est très marqué. Les compétences et l’expertise priment sur les relations interpersonnelles. Le travail et le plaisir sont dissociés. Enfin, ces derniers gèrent leur temps de manière linéaire et séquentielle : leurs tâches sont planifiées, compartimentées, et traitées les unes après les autres. Les salariés allemands n’aiment pas être interrompus. Ils accordent une grande importance à la rigueur et à la patience.

9. La protection africaine

Le continent africain, lui, laisse entrevoir un système de valeurs et de règles partagées. Celui-ci favorise la famille, les traditions et la religion animiste (mythes et magie) avant la performance économique. Les relations professionnelles sont organisées autour d’un chef de famille ou de clan, qui détient le pouvoir de façon continue et centralise les décisions. Dans ce contexte, les liens affectifs sont privilégiés au détriment des compétences. Le leader africain est très protecteur à l’égard de ses collaborateurs. Cela leur procure un sentiment de sécurité, de force et de cohésion. Les salariés africains n’agissent (presque) jamais seuls : ils coopèrent dans un système de « don/contre don » où ils donnent et reçoivent en retour.

10. La convivialité brésilienne

Au Brésil, comme dans de nombreux pays sud-américains, le conflit est à éviter à tout prix. Il doit laisser place à une gestion souple et pragmatique de la relation afin de conduire à des solutions unanimes, sans heurt, ni agressivité. Ces relations sont imprégnées de beaucoup d’affect. À l’instar de la culture managériale asiatique : patience, confiance, flexibilité et persévérance constituent des valeurs fondamentales de la culture du travail brésilienne, axée autour du consensus et de projets de long terme.
*Le rapport « Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche », a été publié le 19 mars 2025, par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Publié par Léa Lucas pour Courrier Cadres 2025